Quand
on parle de "Bibles illustrées", c'est aux Bibles médiévales
manuscrites que nous pensons en premier. Produites pour quelques riches
commanditaires, elles ont été la plupart du temps des pièces uniques.
Les
enluminures ont été un somptueux décor peint, jusqu'au point que pour
certains livres ont parle de "manuscrits à peintures". Lettrines et
encadrements s'accompagnaient de représentations souvent stéréotypées en ce
qui concerne la mise en scène des histoires bibliques, l'essentiel se trouvant
surtout dans la qualité du dessin ou l'art du peintre enlumineur. Mais ces
chefs d'œuvre qui demandaient un travail énorme ont été produits pendant des
siècles, pour un très petit nombre de privilégiés. C'est bien ici que se
situe la première révolution de l'imprimerie et, partant, de l'image imprimée.
Dès
la fin du XVe siècle, les premières bibles illustrées imprimées sont diffusées. Tout d'abord, on conserve la pratique de
peindre à la main : dans des espaces réservés à l'intérieur du texte imprimé
des artistes dessinent et peignent, ce qui garde au livre imprimé un coût
important. Dans un deuxième temps, au texte imprimé sont ajoutées des
gravures imprimées que certains acheteurs pourront éventuellement faire
enluminer. Bientôt, la diffusion plus large conduit à ne plus envisager de
colorisation, et la gravure dans le texte développe des qualités propres qui
n'appellent plus la couleur.
C'est
donc au XVIe siècle que les Bibles imprimées vont se multiplier et permettre
à un large public de "lire les
images" en complément au texte. Parallèlement aux Bibles illustrées on
trouvera aussi des recueils images bibliques commentées : des livres seront
composées d'images représentant des scènes bibliques où le texte apparaît
simplement comme référence.
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Une
"lecture" rapide des illustrations bibliques donne parfois
l'impression que ces créations sont destinées au simple usage illustratif,
sorte de "double" visuel du texte, un peu superflu. On y voit trace,
à la rigueur, des étapes de l'histoire de l'art, on y admire l'habileté d'un
graveur ou le dessin d'un maître connu par ailleurs pour sa peinture. Pourtant,
si ces considérations ne manquent pas d'intérêt, ce ne sont pas celles qui
vont être l'objet des pages qui suivent.
Nous
allons faire des comparaisons et noter les différences. Nous verrons ainsi que
les choix d'un dessinateur ne sont pas qu'esthétiques, guidés par des modes
dans l'histoire de l'art. Nous verrons que la mise en scène des épisodes
bibliques est dépendante de considérations liées à la théologie du
dessinateur ou de son milieu, à l'histoire religieuse du temps, aux sensibilités
morales, bref au monde dans lequel vit l'illustrateur ou son commanditaire.
Nous
dégagerons ainsi quelques pistes pour mieux comprendre ce que nos contemporains
voyaient dans
D'ailleurs,
on s'étonne parfois de la présence si nombreuse d'illustrations dans certaines
Bibles de
La
vague d'iconoclasme qui accompagna
Luther
écrivait :
"Plût à Dieu que je puisse
convaincre les seigneurs et les riches de faire peindre à l'intérieur et à
l'extérieur des maisons
De
fait, la publication des premières Bibles de Luther s'accompagna de nombreuses
gravures sur bois conçues dans l'atelier de Cranach qui était un ami de
Luther. D'autre part, les catéchismes utilisèrent les images comme un éminent
moyen pédagogique.
Zwingli
visa premièrement et principalement celles qui étaient à l'intérieur des églises.
La présence d'images hors des lieux du culte et le fait que tout un chacun
puisse en posséder lui semblait tolérable. Pour Calvin, il n'était pas
question de représenter Dieu, mais il acceptait que soit représenté ce qui
fait partie de notre univers visible. Selon lui, l'image permet de se souvenir,
elle peut évoquer des portraits, des paysages, des animaux.[3]
Les
livres de "Figures de
Nous
trouvons là une réponse au vœu de Luther : «Dans
la préface du "Passional", Luther exprime son désir d'un livre dans
lequel toutes les histoires importantes de
Et
même si l'Église Catholique permet le culte des images, le but qui leur est
assigné est néanmoins précisé par le Concile de Trente : «...nous faire connaître l'histoire des deux Testaments, et de nous
en renouveler de temps en temps le souvenir, afin que la pensée des bienfaits
de Dieu nous excite à l'honorer davantage et augmente dans nos cœurs le feu de
l'amour que nous avons pour lui.»[6]
A
ce point, et hors d'un culte rendu à l'objet lui-même (ce qui ne concerne pas
le livre) l'image "catholique" et l'image "luthérienne"
participent à la même démarche : renvoyer à
Détournement,
ancrage, incarnation signent l'extraordinaire puissance de
[1]
Margarete Stirm, Les images et
[2]
(WA 18, 83) Dans Marc Lienhard, Martin Luther, Genève, Labor et Fides,
1991, p.141.
[3]
"Toutesfois je ne suis pas tant scrupuleux, de juger qu'on ne doive
endurer ne souffrir nulles images (…). Quant à ce qui est licite de
peindre ou engraver, il y a les histoires pour en avoir mémorial : ou bien
figures, ou medales de bestes, ou villes, ou pais" (Calvin, Institution,
Corpus Reformatorum, t.XXXI, col. 135-136.)
[4]
Voir à ce sujet : Max Engammare, Mélanges
de l'Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée, t.
106, 1994/2, p.
549-591
[5]
WA, X/II, 458, 30 ss. In
Margarete Stirm, op. cit. p.699.
[6]
Catéchisme du Concile de Trente,
Du décalogue VII, Itinéraires, 1969, p.358
[7]
où malgré tout l'imitation eut une place importante à partir du XVIIIe siècle
et particulièrement au XIXe,
[8]
Ce qui concerne la gravure de reproduction, celle qui prend pour modèle
direct des peintures ne sera pas le sujet de nos réflexions.
[9]
Richeome, Louis, Les tableaux sacrés des figures mystiques…, Après l'achevé
d'imprimer, Paris, Laurens Sonnius, 1601.