L'histoire curieuse de la dernière édition de la Bible de Sacy complète
Guillaume-Nicolas Desprez, né en 1713,
instagram story viewerdownload instagram video Guillaume Desprez né en 1630. Il avait ouvert boutique en
1654 à Paris. Janséniste, libraire attitré de Port
Royal, il fit un an à la Bastille, mais fut malgré tout nommé
"imprimeur du Roi" en 1686. Editeur des "pensées" de Pascal, il
publia la Bible de Sacy et mourut en 1709.
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En 1776, l'éditeur-imprimeur
Guillaume Desprez, "Imprimeur ordinaire du Roi et du Clergé de France",
qui tient boutique rue St Jacques à Paris envisage de faire paraître
une nouvelle édition de la Bible dite "Bible de Sacy" complète,
c'est-à-dire avec "les grandes explications". C'est seulement la
deuxième réédition de ce monument de l'extrême
fin du XVIIe siècle. La traduction de Sacy a souvent été
reprise avec des "notes courtes" et d'autres commentaires et suppléments
que l'on a désiré y ajouter (Dom Calmet, P. de Carrières,
Le Gros et P. Houbigant, Abbé de Vence, L-E. Rondet), mais on s'est
refusé à la présentation complète des commentaires
de Sacy. Les 32 volumes sont très coûteux à imprimer
et le type de commentaire de Sacy et de ses continuateurs pour le Nouveau
Testament (MM. Fossé et Beaubrun) n'est plus à la mode.
Dans la Bible de Port Royal dite "de
Sacy", l'objectif principal est de
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C'est Laurent-Etienne Rondet,
déjà auteur de l'abrégé du commentaire de D.
Calmet (Bible de Vence) qui est chargé de diriger cette nouvelle
édition. Guillaume Desprez obtient le privilège royal en
août 1776, valable jusqu'en 1782. Le 20 juillet 1780, il charge de
l'impression Pierre Beaume, imprimeur-libraire à Nîmes. A
cette époque, l'édition parisienne tient le haut du pavé.
Elle cumule les privilèges royaux d'édition des "best sellers"
et affiche des prix plusieurs fois supérieurs à ceux des
imprimeurs de province. Ceux-ci, souvent libraires en même temps
qu'imprimeurs voient leurs ventes réduites à cause des prix
prohibitifs des livres venus de Paris, et par ailleurs, en tant qu'imprimeur
ne peuvent produire les ouvrages "à la mode".
Castres, Mende, Le Puy, Narbonne,
Nîmes ne semblent avoir, au long du XVIIIe siècle, imprimé
autre chose que "directoires, mandements, conférences et autres
ouvrages tant pour le clergé que pour le diocèse, le corps
de ville ou de police, des mémoires et instructions des plaideurs,
des alphabets, catéchismes, almanachs..." (M. Ventre, l'imprimerie
et la librairie en Languedoc au dernier siècle de l'ancien régime,
Mouton 1958, p.257)
A Nîmes, il n'y a que deux imprimeries.
Celle de Pierre Beaume fait face à la concurrence de l'abondante
production avignonnaise. Pour la Bible de Sacy il diffuse un prospectus
annonçant la sortie de cette nouvelle édition et le nombre
de volumes "qui était de 32 dans l'édition du siècle
dernier et qui sera réduit à 24 ou peut être plus,
mais sans excéder 28". La précision est importante pour les
éventuels acheteurs puisque l'ouvrage se paie au nombre de volumes.
Les livres sont vendus en souscription
dès l'année suivante. La souscription est devenue fréquente
dans l'édition de cette époque. Elle consiste souvent
en une promesse d'achat avec éventuellement une avance à
verser, puis des échéances régulières en fonction
de la sortie des livres.
On prévoit 24 volumes. Dès le quatrième volume (octobre 1783), l'imprimeur s'excuse des retards successifs de ses livraisons. Il signale la dépense immense qu'exige l'impression d'un ouvrage aussi considérable, et le défaut de rentrées, dû au petit nombre de souscription. Pierre Beaume décide de limiter l'impression à 500 exemplaires. On peut donc supposer que les souscripteurs étaient encore bien moins nombreux.
Le tirage fréquent pour des ouvrages de ce type se situait entre 1000 et 2000 exemplaires. Mais la grande mode de la théologie et de l'exégèse du début du XVIIIe siècle est passée : en 1781 la production de livres d'exégèse est 4 fois moins importante qu'au début du siècle, la production de livres de théologie presque 3 fois moindre. (cf. Histoire de l'édition française, promodis 1982, p.179). G. Desprez lui-même, qui avait accumulé depuis deux générations un stock considérable l'a bradé en 1778 au tiers ou à la moitié du prix marqué. Malgré tout, il reste des acheteurs; ce sont en grande majorité des membres du clergé provincial (chanoines, abbés, curés) mais, outre que leurs revenus ont beaucoup diminué, ils se tournent souvent vers d'autres livres, en particulier historiques ou scientifiques.
L'imprimeur précise que compte
tenu des suppléments ajoutés aux commentaires de Sacy
(plusieurs "concordances" sont prévues, ainsi qu'un volume de table
générale) l'édition sera de 25 volumes et que les
honoraires qu'il paie à l'éditeur coûtent autant pour
500 exemplaires que pour 2000.
Il semble donc, que suivant l'accord
entre G. Desprez et P. Beaume, que les revenus de la souscription et de
la vente reviennent à l'imprimeur, à charge pour lui de payer
des "honoraires" à l'éditeur.
Les volumes sont vendus brochés en carton
à 4 livres 5 sols chacun, la totalité 106 livres 5 sols où
en feuilles à 4 livres pièce
et 100 livres le tout (En 1787 les volumes reliés seront vendus
5 L.).
Par rapport au salaire moyen d'un ouvrier
imprimeur, la Bible complète brochée revient donc à
environ 2 mois de salaire (soit de l'ordre de 20 000 F de 1999). La dépense,
bien entendu est étalée sur deux ou trois ans. Le rythme
d'impression est de 1 volume par mois. Le dernier étant prévu
pour juillet 1785.
Outre chez P. Beaume et G. Desprez, on peut souscrire chez Lacaze, libraire à Auch et chez tous les principaux libraires des différentes villes du Royaume et des Pays étrangers. |
Le volume 7 (Job) paraît le 1er
avril 1784 au lieu de janvier. L'imprimeur explique que ce retard est dû
aux froids rigoureux de l'hiver qui ont obligé de suspendre le
travail pendant un mois. De plus, dans ce 7e volume a été
incluse une "concorde des livres historiques de l'Ancien Testament", pièce
entièrement neuve en petits caractères sur deux ou trois
colonnes, remplie de difficultés en particulier à cause des
hachures continuelles qu'il a fallu faire pour l'accord des versets des
textes parallèles. En effet, les textes sont de longueurs irrégulières,
s'étalent sur une colonne, puis sur deux ou trois avec la nécessité
de terminer à la même hauteur. Pierre Beaume fait remarquer
que cette concorde qui représente le tiers du volume a coûté
plus de main d'œuvre qu'un volume de texte ordinaire et a exigé
le double de temps. Il promet de rattraper le retard. D'autre part, il annonce
l'édition d'une collection des œuvres choisies de Bossuet en 8 volumes,
mais s'empresse de préciser que cette nouvelle entreprise ne
nuira en rien à la célérité promise pour la
Bible.
La même année, des souscripteurs qui avaient acheté auparavant l'édition de "l'Histoire Ecclésiastique", refusent de rembourser à leurs libraires les frais de port des volumes de la Bible sous prétexte que l'Histoire Ecclésiastique était livrée franco de port. P. Beaume, dans le volume 9 consacré aux psaumes précise que c'était exceptionnellement et contre les usages que "l'Histoire Ecclésiastique" était livrée "franche de voiture". La perte qu'il a sur cette édition de la Bible est déjà assez considérable sans qu'il assume les frais de transport, qui d'ailleurs n'étaient pas prévus. Il demande aux libraires de s'arranger comme ils voudront, mais qu'il ne paiera pas et qu'il sera parfaitement inutile de lui répéter la moindre chose à cet égard.
Quelques mois plus tard, en sortant le volume
12, l'imprimeur répond à des plaintes concernant l'inégalité
de grosseur des volumes. Il semble que les souscripteurs s'inquiètent
que les volumes soient moins épais et qu'ils craignent que l'imprimeur
soient amené à augmenter leur nombre. Pierre Beaume montre
que tout son effort est de renfermer dans 24 volumes + le volume de tables
des matières ce qui en tenait 32 avant, avec, en plus, la nécessité
d'ajouter des concordes et des textes nouveaux. Il est, en outre plus difficile
de faire des volumes égaux alors que les livres bibliques sont de
tailles très différentes. P. Beaume termine avec une pointe
d'amertume en disant que si les volumes (depuis le 4e) avaient été
aussi épais que les trois premiers «nous aurions abandonné
l'entreprise et sacrifié nos avances, plutôt que d'y consommer
notre ruine.». On voit bien par là, comme il le répète
souvent qu'il n'assume plus cette édition que par honnêteté
professionnelle.
L'édition prend de plus en plus
de retard.
Le volume 16 (les douze petits prophètes)
paraît en 1786 au lieu de 1784. Un avis promet qu'il n'y aura plus
de retard. L'Ancien Testament devait tenir en 16 volumes, mais les "pièces
nouvelles" qui ont été ajoutées obligent à
l'impression d'un 17e. Les souscripteurs doivent donc payer un volume en
plus. Aussi, pour qu'ils n'aient pas, globalement, de dépenses supplémentaires,
P. Beaume assure qu'il fera tenir le Nouveau Testament en 7 volumes pour
ne pas dépasser le chiffre total de 24, sans compter 1 volume de
table générale. Il prévoit malgré tout le cas
où il n'y arriverait pas, et promet de fournir gratis l'éventuel
volume qui excéderait les 25.
Début 1787 paraît le premier
volume du Nouveau Testament initialement annoncé pour fin 1784.
Depuis le commencement, à la demande
de certains souscripteurs qui possédaient déjà le
texte de la traduction Sacy dans la Bible de Vence ou la Bible du P. Carrières,
l'imprimeur a vendu des exemplaires contenant uniquement le commentaire,
les fameuses "grandes explications". Compte tenu de la taille réduite
des textes du Nouveau Testament par rapport à l'Ancien, il décide
de leur livrer des volumes texte + commentaire comme pour les autres souscripteurs,
et ceci, sans augmentation de prix. Il veut aussi combler un manque : on
trouve plus facilement chez les libraires des éditions anciennes
de l'Ancien Testament de la Sacy avec les grandes explications, que du
Nouveau Testament. N'y a-t-il pas aussi de la part de Pierre Beaume le
désir de réduire la production à une seule sorte de
volumes, les "complets" ?
Dans le 20e volume, parut en 1788, l'imprimeur
s'excuse de son nouveau retard qui a pour cause l'installation de sa nouvelle
imprimerie à Bordeaux (que le Roi lui a accordée à
titre de récompense), un de ses enfants gardant celle de Nîmes.
Il parle encore des fonds immenses que nécessite l'édition
de cette Bible et prend l'engagement solennel de terminer l'impression
au cours de l'année. Malheureusement, le 24e et avant-dernier volume
sort de presse en 1789, avec quatre ans de retard.
La Bible de Sacy avec les "grandes explications" ne sera jamais rééditée.