L'histoire curieuse de la dernière édition de la Bible de Sacy complète  

La dernière édition
 


Le projet 

 

Guillaume-Nicolas Desprez, né en 1713, 
imprimeur en 1743, imprimeur du clergé en 1747. Assez véreux, parait-il, 
il fit de bonnes affaires et s'aggrandit en 1769. 
L'édition de la Bible dite de Sacy a été inaugurée par son grand-père : 

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Guillaume Desprez né en 1630. Il avait ouvert boutique en 1654 à Paris. Janséniste, libraire attitré de Port Royal, il fit un an à la Bastille, mais fut malgré tout nommé "imprimeur du Roi" en 1686. Editeur des "pensées" de Pascal, il publia la Bible de Sacy et mourut en 1709. 
Il laissa un stock évalué à 226 437 L. 

 En 1776, l'éditeur-imprimeur Guillaume Desprez, "Imprimeur ordinaire du Roi et du Clergé de France", qui tient boutique rue St Jacques à Paris envisage de faire paraître une nouvelle édition de la Bible dite "Bible de Sacy" complète, c'est-à-dire avec "les grandes explications". C'est seulement la deuxième réédition de ce monument de l'extrême fin du XVIIe siècle. La traduction de Sacy a souvent été reprise avec des "notes courtes" et d'autres commentaires et suppléments que l'on a désiré y ajouter (Dom Calmet, P. de Carrières, Le Gros et P. Houbigant, Abbé de Vence, L-E. Rondet), mais on s'est refusé à la présentation complète des commentaires de Sacy. Les 32 volumes sont très coûteux à imprimer et le type de commentaire de Sacy et de ses continuateurs pour le Nouveau Testament (MM. Fossé et Beaubrun) n'est plus à la mode.
  

Dans la Bible de Port Royal dite "de Sacy", l'objectif principal est de 
Faire jaillir du texte biblique son enseignement moral et spirituel.  
Les "grandes explications"  puisent pour cela dans les Pères de l'Eglise et les auteurs Ecclésiastiques des réflexions pour que le lecteur s'instruise, réfléchisse sur lui-même et sur les modèles que l'Ecriture présente.  
Dès l'édition de la Bible commentée de Dom Calmet, les commentaires s'orientent vers une vision plus "scientifique" : apport de données historiques et géographiques, critique textuelle, confrontation d'idées sur certains sujets controversés... La piété de la fin du XVIIe siècle n'est plus de mise.

 

C'est Laurent-Etienne Rondet, déjà auteur de l'abrégé du commentaire de D. Calmet (Bible de Vence) qui est chargé de diriger cette nouvelle édition. Guillaume Desprez obtient le privilège royal en août 1776, valable jusqu'en 1782. Le 20 juillet 1780, il charge de l'impression Pierre Beaume, imprimeur-libraire à Nîmes. A cette époque, l'édition parisienne tient le haut du pavé. Elle cumule les privilèges royaux d'édition des "best sellers" et affiche des prix plusieurs fois supérieurs à ceux des imprimeurs de province. Ceux-ci, souvent libraires en même temps qu'imprimeurs voient leurs ventes réduites à cause des prix prohibitifs des livres venus de Paris, et par ailleurs, en tant qu'imprimeur ne peuvent produire les ouvrages "à la mode".
Castres, Mende, Le Puy, Narbonne, Nîmes ne semblent avoir, au long du XVIIIe siècle, imprimé autre chose que "directoires, mandements, conférences et autres ouvrages tant pour le clergé que pour le diocèse, le corps de ville ou de police, des mémoires et instructions des plaideurs, des alphabets, catéchismes, almanachs..." (M. Ventre, l'imprimerie et la librairie en Languedoc au dernier siècle de l'ancien régime, Mouton 1958, p.257)  


Pierre Beaume lance l'impression

A Nîmes, il n'y a que deux imprimeries. Celle de Pierre Beaume fait face à la concurrence de l'abondante production avignonnaise. Pour la Bible de Sacy il diffuse un prospectus annonçant la sortie de cette nouvelle édition et le nombre de volumes "qui était de 32 dans l'édition du siècle dernier et qui sera réduit à 24 ou peut être plus, mais sans excéder 28". La précision est importante pour les éventuels acheteurs puisque l'ouvrage se paie au nombre de volumes.
Les livres sont vendus en souscription dès l'année suivante. La souscription est devenue fréquente dans l'édition de cette époque. Elle consiste souvent en une promesse d'achat avec éventuellement une avance à verser, puis des échéances régulières en fonction de la sortie des livres.


Tirage et tarifs

On prévoit 24 volumes. Dès le quatrième volume (octobre 1783), l'imprimeur s'excuse des retards successifs de ses livraisons. Il signale la dépense immense qu'exige l'impression d'un ouvrage aussi considérable, et le défaut de rentrées, dû au petit nombre de souscription. Pierre Beaume décide de limiter l'impression à 500 exemplaires. On peut donc supposer que les souscripteurs étaient encore bien moins nombreux.

Le tirage fréquent pour des ouvrages de ce type se situait entre 1000 et 2000 exemplaires. Mais la grande mode de la théologie et de l'exégèse du début du XVIIIe siècle est passée : en 1781 la production de livres d'exégèse est 4 fois moins importante qu'au début du siècle, la production de livres de théologie presque 3 fois moindre. (cf. Histoire de l'édition française, promodis 1982, p.179). G. Desprez lui-même, qui avait accumulé depuis deux générations un stock considérable l'a bradé en 1778 au tiers ou à la moitié du prix marqué. Malgré tout, il reste des acheteurs; ce sont en grande majorité des membres du clergé provincial (chanoines, abbés, curés) mais, outre que leurs revenus ont beaucoup diminué, ils se tournent souvent vers d'autres livres, en particulier historiques ou scientifiques.

L'imprimeur précise que compte tenu des suppléments ajoutés aux commentaires de Sacy (plusieurs "concordances" sont prévues, ainsi qu'un volume de table générale) l'édition sera de 25 volumes et que les honoraires qu'il paie à l'éditeur coûtent autant pour 500 exemplaires que pour 2000.
Il semble donc, que suivant l'accord entre G. Desprez et P. Beaume, que les revenus de la souscription et de la vente reviennent à l'imprimeur, à charge pour lui de payer des "honoraires" à l'éditeur. 

 

Les volumes sont vendus brochés en carton à 4 livres 5 sols chacun, la totalité 106 livres 5 sols où en feuilles à 4 livres pièce et 100 livres le tout (En 1787 les volumes reliés seront vendus 5 L.).
Par rapport au salaire moyen d'un ouvrier imprimeur, la Bible complète brochée revient donc à environ 2 mois de salaire (soit de l'ordre de 20 000 F de 1999). La dépense, bien entendu est étalée sur deux ou trois ans. Le rythme d'impression est de 1 volume par mois. Le dernier étant prévu pour juillet 1785.
 

Outre chez P. Beaume et G. Desprez,  on peut souscrire chez Lacaze, libraire à Auch  et chez tous les principaux libraires des différentes villes du Royaume et des Pays étrangers.

 


Les difficultés de l'entreprise

Le volume 7 (Job) paraît le 1er avril 1784 au lieu de janvier. L'imprimeur explique que ce retard est dû aux froids rigoureux de l'hiver qui ont obligé de suspendre le travail pendant un mois. De plus, dans ce 7e volume a été incluse une "concorde des livres historiques de l'Ancien Testament", pièce entièrement neuve en petits caractères sur deux ou trois colonnes, remplie de difficultés en particulier à cause des hachures continuelles qu'il a fallu faire pour l'accord des versets des textes parallèles. En effet, les textes sont de longueurs irrégulières, s'étalent sur une colonne, puis sur deux ou trois avec la nécessité de terminer à la même hauteur. Pierre Beaume fait remarquer que cette concorde qui représente le tiers du volume a coûté plus de main d'œuvre qu'un volume de texte ordinaire et a exigé le double de temps. Il promet de rattraper le retard. D'autre part, il annonce l'édition d'une collection des œuvres choisies de Bossuet en 8 volumes, mais s'empresse de préciser que cette nouvelle entreprise ne nuira en rien à la célérité promise pour la Bible.


Des clients mécontents

La même année, des souscripteurs qui avaient acheté auparavant l'édition de "l'Histoire Ecclésiastique", refusent de rembourser à leurs libraires les frais de port des volumes de la Bible sous prétexte que l'Histoire Ecclésiastique était livrée franco de port. P. Beaume, dans le volume 9 consacré aux psaumes précise que c'était exceptionnellement et contre les usages que "l'Histoire Ecclésiastique" était livrée "franche de voiture". La perte qu'il a sur cette édition de la Bible est déjà assez considérable sans qu'il assume les frais de transport, qui d'ailleurs n'étaient pas prévus. Il demande aux libraires de s'arranger comme ils voudront, mais qu'il ne paiera pas et qu'il sera parfaitement inutile de lui répéter la moindre chose à cet égard.

Quelques mois plus tard, en sortant le volume 12, l'imprimeur répond à des plaintes concernant l'inégalité de grosseur des volumes. Il semble que les souscripteurs s'inquiètent que les volumes soient moins épais et qu'ils craignent que l'imprimeur soient amené à augmenter leur nombre. Pierre Beaume montre que tout son effort est de renfermer dans 24 volumes + le volume de tables des matières ce qui en tenait 32 avant, avec, en plus, la nécessité d'ajouter des concordes et des textes nouveaux. Il est, en outre plus difficile de faire des volumes égaux alors que les livres bibliques sont de tailles très différentes. P. Beaume termine avec une pointe d'amertume en disant que si les volumes (depuis le 4e) avaient été aussi épais que les trois premiers «nous aurions abandonné l'entreprise et sacrifié nos avances, plutôt que d'y consommer notre ruine.». On voit bien par là, comme il le répète souvent qu'il n'assume plus cette édition que par honnêteté professionnelle.
L'édition prend de plus en plus de retard.
Le volume 16 (les douze petits prophètes) paraît en 1786 au lieu de 1784. Un avis promet qu'il n'y aura plus de retard. L'Ancien Testament devait tenir en 16 volumes, mais les "pièces nouvelles" qui ont été ajoutées obligent à l'impression d'un 17e. Les souscripteurs doivent donc payer un volume en plus. Aussi, pour qu'ils n'aient pas, globalement, de dépenses supplémentaires, P. Beaume assure qu'il fera tenir le Nouveau Testament en 7 volumes pour ne pas dépasser le chiffre total de 24, sans compter 1 volume de table générale. Il prévoit malgré tout le cas où il n'y arriverait pas, et promet de fournir gratis l'éventuel volume qui excéderait les 25. 


Le Nouveau Testament

Début 1787 paraît le premier volume du Nouveau Testament initialement annoncé pour fin 1784.
Depuis le commencement, à la demande de certains souscripteurs qui possédaient déjà le texte de la traduction Sacy dans la Bible de Vence ou la Bible du P. Carrières, l'imprimeur a vendu des exemplaires contenant uniquement le commentaire, les fameuses "grandes explications". Compte tenu de la taille réduite des textes du Nouveau Testament par rapport à l'Ancien, il décide de leur livrer des volumes texte + commentaire comme pour les autres souscripteurs, et ceci, sans augmentation de prix. Il veut aussi combler un manque : on trouve plus facilement chez les libraires des éditions anciennes de l'Ancien Testament de la Sacy avec les grandes explications, que du Nouveau Testament. N'y a-t-il pas aussi de la part de Pierre Beaume le désir de réduire la production à une seule sorte de volumes, les "complets" ?
Dans le 20e volume, parut en 1788, l'imprimeur s'excuse de son nouveau retard qui a pour cause l'installation de sa nouvelle imprimerie à Bordeaux (que le Roi lui a accordée à titre de récompense), un de ses enfants gardant celle de Nîmes. Il parle encore des fonds immenses que nécessite l'édition de cette Bible et prend l'engagement solennel de terminer l'impression au cours de l'année. Malheureusement, le 24e et avant-dernier volume sort de presse en 1789, avec quatre ans de retard.

La Bible de Sacy avec les "grandes explications" ne sera jamais rééditée. 

                                                                                                 Alain Combes
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